Mise à jour effectuée le 30/04/2010.

Xynthia,
ou l’exploitation de l’état de choc

Le préfet de Charente-Maritime, Henri Masse, a indiqué le 8 avril 2010 à La Rochelle que les « zones noires », « présentant un danger de mort avéré » après le passage de Xynthia, n'étaient « pas négociables » et que leurs habitants devraient « quitter leurs maisons1  ». L'Etat veut surtout faire des économies d'équipement, appliquer un plan qui dépend plus de qui occupe les zones en question que de leur réelle dangerosité, et éviter de désigner nommément les véritables responsables en menant cette affaire tambour battant.

Plus encore que la peinture sur les maisons englouties à Aytré, plus encore que la submersion des quais du Vieux Port de La Rochelle, ce qui m’a le plus marqué lors de cette tempête ce sont les habitants des Boucholeurs, évacués de leur quartiers quelques heures après la catastrophe dans des camions bennes. Je ne saurais dire pourquoi cette vision m’a instantanément fait penser à des images en noir et blanc qui témoignent d’une autre époque, celle de la dernière guerre mondiale où les français fuyaient l’armée allemande. Hier, une certaine administration avait collaboré avec l’envahisseur.  Aujourd’hui, une autre abdique devant les aléas climatiques. Dans les deux cas, la population en état de choc est contrainte à l’exode.

L'Etat ne veut donc pas faire ce qui est nécessaire (et faisable) pour protéger les habitations existantes. Il préfère procéder à des destructions, et à des indemnisations dont on ne pourra évaluer si elles sont à la hauteur des biens perdus qu’après qu’elles aient été versées. Il suffirait pourtant de renforcer ou de prolonger les digues pour que la plupart des zones noires ne le soient plus.
D’ailleurs, dans la zone du port autonome de La Rochelle-Pallice, l’Etat n'a de cesse d'avancer sur la mer pour permettre à de nouvelles entreprises de s'installer, comme ce sera prochainement le cas pour une cimenterie sur l’Anse Saint-Marc. Et l’enquête publique disponible en mairie2 d’écarter le risque d’inondation en le considérant comme « suffisamment rare »…
En nous montrant ce qu’il est possible de faire lorsqu’il s’agit d’accueillir un centre de broyage issu d’une société multinationale (qui emploie une vingtaine de personnes), qui au passage contribuera à mettre en difficulté les cimenteries de la région (qui emploient des centaines de personnes), l'Etat nous montre clairement où sont ses priorités.

Mais le conseil général de Charente-Maritime, qui a été construit au bord de l'eau, dont plus de 60 véhicules sont perdus et des milliers d'archives subissent des traitements spéciaux (et certainement onéreux) pour être récupérées, n'est pas en zone noir, lui !
La station d'épuration de La Rochelle, qui rappellera son disfonctionnement quotidiennement par son odeur pestilentielle aux habitant de Port Neuf jusqu’à la deuxième quinzaine d’avril au mieux3 , ne sera pas non plus frappée par les foudres administratives comme le montre le document officiel 4, et ce malgré qu’elle ait bel et bien été submergée.

Station d'épuration de La Rochelle

A la prochaine tempête, ce sera donc encore aux cochons payeurs de contribuables que nous sommes d’éponger les frais des sinistres en questions par le biais d’impôts supplémentaires5 , frais dont on aurait pu se passer si ses bâtiments voués au service du public avait été construit plus à l’intérieur des terres.
Là encore, les pouvoirs publics se gardent bien de s’appliquer à eux-mêmes des contraintes d’urbanisme qu’ils n’hésitent pourtant pas à imposer au tout venant.

L’Etat se drape dans les apparences d’une décision courageuse par cette destruction programmée qui viserait à sauvegarder les vies épargnées, alors qu’en fait il organise une restructuration urbaine à géométrie variable pour couvrir tous les responsables du drame causé par Xynthia. C’est le syndrome de la grippe A qui le reprend, le « principe de précaution » tellement poussé à son paroxysme qu’il en devient un « principe de précipitation », mais cette fois de façon encore plus ciblée. Face aux conséquences de cette catastrophe, l’Etat met à l’épreuve la capacité de résilience des citoyens. Car plongé dans un état de choc, « nous redevenons des enfants, désormais plus enclins à suivre les leaders qui prétendent nous protéger6  ».

Dans cette affaire, les institutions, les décideurs (élus ou pas) et même les associations de protection de l’environnement, qui ont lutté pour contrer l’extension ou la surélévation des digues avec les conséquences que l’on connaît, sont épargnés. Les propriétaires et les locataires, quant à eux, subissent la triple peine : les pertes dues à l’inondation, l’augmentation des impôts locaux, et finalement un nouvel exode. Mais dans ce domaine comme dans d’autre, il est toujours temps de se ressaisir, de s’organiser, et de résister pour imposer des solutions raisonnables.







1 « Les zones noires sont "non négociables" », par Europe1.fr avec Laure Bachy et agences, 8 avril 2010 – http://www.europe1.fr/France/Les-zones-noires-sont-non-negociables-171598/index.html
3 « Port-Neuf: qu'est-ce qui sent comme ça ? », Mairie de La Rochelle, mardi 23 mars 2010 – http://www.ville-larochelle.fr/actualites/detail-actualite/b/2/h/87bfc7f9ee/article/station-depuration-pas-de-panique.html
5 « Dominique Bussereau veut un impôt Xynthia en Charente-Maritime », par Reuters, lundi 5 avril 2010 – http://fr.news.yahoo.com/4/20100405/tts-france-xynthia-ca02f96.html
6 Présentation de « La Stratégie du choc » de Naomi Klein - http://www.actes-sud.fr/pages_dediees/595.php




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