Mise à jour effectuée le 15/05/2010.

Retour à la nature... humaine

Plutôt que de privilégier un retour à la nature parcimonieux et baroque, il serait plus judicieux de saisir les opportunités qui se présentent à nous pour tenir en éveille les citoyens sur les risques liés aux vicissitudes de la nature humaine.

Le mécène Alain Rousselot souhaiterai faire l’acquisition d’un bâtiment servant jadis à positionner des pièces d'artillerie, ainsi que des deux hectares de terrain situés à proximité de la plage de Chef de Baie, et ce afin de « retrouver le rempart du XVe siècle, rénover la batterie pour en faire des pièces éducatives, voir un espace muséographique, construire une « grange » à réunions pouvant recevoir jusqu'à 500 personnes1  ».

La batterie de Chef de Baie
La batterie de Chef de Baie

Mais le Conseil Général, qui s’est porté preneur de l’ancienne batterie, semble avoir des perspectives moins étoffées au sujet de l’emplacement et des édifices pourtant chargés d’histoire qui y figurent. Jean-Louis Frot, premier vice-président de la collectivité, se contente d’expliquer qu’« il s'agit de mettre ces sites à l'abri d'opérations immobilières intempestives » et que « la priorité est donnée aux espaces naturels 2 ».

On pourrait regretter que ces considérations n’aient pas été aussi prégnantes à l’époque où s’est décidée la construction de la Maison du département. La loi littoral, en vigueur depuis 1986, est sensée interdire toute construction et installation nouvelle à moins de 100 mètres du rivage en dehors des zones urbanisées. Reste à savoir où commence et où s’arrête une zone urbanisée…
Toujours est-il que dix ans après sa promulgation, la loi littoral n’a de toute évidence pas empêché les élus du département d’autoriser les procédures visant à édifier le bâtiment qui abrite aujourd’hui les services du Conseil général. Et bientôt 25 ans après l’entrée en vigueur de cette même loi, les avocats de l’urbanisation côtière bénéficient dorénavant de la jurisprudence « Besselue », nom de la friche située en bord de mer et mitoyenne avec le Conseil général, qui stipule que le juge administratif doit apprécier le caractère limité de l’urbanisation sans prendre en compte l’ensemble d’une opération immobilière3
Cependant, c’est à croire qu’il ne s’est rien passé entre les années 90, date de la mise en œuvre du projet Besselue, et avril 2010 pour que le Conseil municipal de la ville de La Rochelle adopte aussi sec la viabilisation d’un tel terrain. Le 28 février 2010, l’adjacent Conseil Général fut pourtant une des nombreuses victimes de Xynthia qui noya ses archives et immergea une soixantaine de véhicules entreposés dans les parkings souterrains de l’établissement. Mais malgré la récente démonstration du caractère submersible de l’emplacement, les élus n’hésitèrent pas à valider à l’unanimité (les Verts aussi !) la première étape de ce qui débouchera sur la création d’une zone résidentielle destinée au logement4 .

Panorama du terrain Besselue - Le Conseil Général à droite, l'océan à gauche.
Panorama du terrain Besselue - Le Conseil Général à droite, l'océan à gauche

Donc d’un côté les citoyens font les frais de la mise en place de zone noire post cataclysmique où l’expropriation semble inéluctable, et de l’autre les collectivités peuvent dorénavant miter le littoral de construction, tant que chacune d’elle a un caractère « limité ». A cette première incohérence on viendra rajouter celle qui oppose Besselue, qui consiste à vouloir passer d’une urbanisation à marche forcée dans une zone inondable où jusqu’à présent régnait la nature, à Chef de Baie, où la collectivité départementale semble décidée à laisser le lierre et les ronces recouvrir notre patrimoine.
Mais il est vrai que si le bétonnage rapporte de l’argent, l’entretien de notre capital historique en coûte, tout du moins à court terme. Car à long terme, on ne connaît que trop le coût social, et même environnemental 5, de l’urbanisation à marche forcée, et l’on risque bientôt de prendre conscience de celui de l’oubli. Car si le devoir de mémoire est utile, c’est non pas pour culpabiliser les héritiers d’une histoire, mais pour responsabiliser les architectes de l’avenir.    

Paneau annonçant les résidences à venir.
Paneau annonçant les résidences à venir

Au-delà des considérations juridiques, au-delà de la protection de l’écosystème côtier dont les élus nous rappellent l’absolu nécessité dans les seuls cas où cela va dans le sens de leurs projets, au-delà même du fait de savoir si il est judicieux de construire en bord de mer, non pas qu’il faille protéger le milieu naturel livré à lui-même mais qu’il soit de toute évidence plus prudent de s’en écarter, on a par moment l’impression que les décisions se prennent au doigt mouillé et en dépit du bon sens. Et l’on ne peut s’empêcher de penser que si des choix aussi incohérents peuvent coexister au niveau local, il n’y a aucune raison pour qu’il n’en soit pas de même au niveau national, voir européen, puisque souvent on y retrouve les mêmes acteurs.

Batterie et blockhaus
Blockhaus à gauche, batterie au centre, et maison à droite

Je n’ai jamais compris pourquoi la plupart des communes côtières laissaient périr les blockhaus sous les assauts de l’océan. Ces ouvrages défensifs en béton armé et blindé datant de la dernière guerre pourraient être autant de lieu de témoignage et de mémoire tant ils sont le symbole de l’apogée dramatique d’un conflit dont les ferments furent pour partie la rancœur des peuples et leur paupérisation eu égard à la crise économique 6. Parce qu’en ces temps difficiles où, de toute évidence, l’élite préfère la spéculation et la libéralisation à la préservation des acquis sociaux des masses laborieuses, où la pérennité de la construction technocratique et inéquitable de l’Europe est remise en question, où les nations et les populations qui y vivent assistent au triste spectacle des politiques qui n’ont pas été à la hauteur de la souveraineté qui leur a été déléguée, où les Etats se sont laissés déposséder de leur pouvoir politique, monétaire, et bientôt budgétaire 7 sans coup férir, il me semble nécessaire de faciliter la tâche à tous ceux qui essaient d’apporter des solutions. Et parmi eux, les philanthropes qui se proposent d’entretenir notre mémoire historique, ce qui permettra notamment de nous rappeler, si cela n’est pas déjà trop tard, jusqu’où ce qui porte encore le nom de démocratie ne doit plus nous mener.







1 « Patrimoine : la batterie de Chef-de-Baie reste imprenable », par  Thomas Brosset, Sud Ouest, 13 mai 2010 – http://www.sudouest.fr/2010/05/13/patrimoine-la-batterie-de-chef-de-baie-reste-imprenable-90462-1391.php

2 Ibid.

3 « Le Conseil d’Etat vient préciser l’appréciation qui doit être faite au regard de l’article L. 146-4 du Code de l’urbanisme », Aurélien BOUDEWEEL, Avocat, Cabinet Vivaldi Avocats, 14 janvier 2010 – http://www.vivaldi-chronos.com/imprimer-Le-Conseil-d-Etat-vient-preciser-l-appreciation-qui-doit-etre-faite-au-regard-de-l-article-L-136-4-du-Code-de-l-urbanisme-num-791.html

4 Séance du Conseil municipal du 26 avril 2010, page 8 – http://www.ville-larochelle.fr/uploads/tx_pmpresse/CR260410.pdf

5 « Madère: l'urbanisation accélérée mise en cause », Ouest France, mardi 23 février 2010 – http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Madere-l-urbanisation-acceleree-mise-en-cause-_3637-1273622_actu.Htm

6 « Causes de la Seconde Guerre mondiale », Wikipedia – http://fr.wikipedia.org/wiki/Causes_de_la_Seconde_Guerre_mondiale

7 « Bruxelles veut un droit de regard sur le budget des Etats », Philippe Ricard, Le Monde, 13 mai 2010 – http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/05/13/bruxelles-veut-un-droit-de-regard-sur-le-budget-des-etats_1350749_3234.html





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