Centre de broyage ou accélérateur de délocalisation

Déjà, il faut savoir que, faute de liaison ferrée adaptée et faute de volonté politique d’en disposer, ce projet va engendrer un trafic supplémentaire vers le port autonome de 150 camions par jour. Je ne peux m’empêcher de revenir sur les déclarations du maire rapportées pour l’occasion. Ce dernier déclare : « Nous avons demandé une étude sur la qualité de l’air à la Pallice afin d’avoir une photographie de cet environnement à l’heure actuelle. Nous pourrons ensuite comparer1. »
Et après ?
Nous serons bien avancés de constater ce que l’on peut déjà déduire en faisant appel à la seule logique, à savoir qu’un trafic accru de véhicule diesel, en l’occurrence les 300 passages de camions par jour en question, ne peut qu’augmenter le niveau de pollution local !
D’ailleurs n’est pas ce constat qui pousse la municipalité à adopter la logique inverse pour le centre ville ?
Notre quotidien de rochelais nous confronte à ce bannissement  de l’automobile par la réduction de la largeur des voiries au profit des piétons et des cyclistes (dont certains ne respectent en rien le code de la route sans pour autant être inquiétés par la maréchaussée), par le biais du plan de circulation (ou plutôt d’encombrement) instauré en 2004, par la construction aux portes de l’ancienne cité de parking souterrains surdimensionnés, payant, voir submersibles, par la mise en place de parking relais à l’extérieur de la ville dont la desserte s’effectue à travers les grèves perlées de la RTCR, et par le très prochain passage de gratuit à payant de 900 places de stationnement dont une partie compose l’Esplanade des Parcs2.

On ne peut qu’observer la différence de traitement de la part de la municipalité entre les citoyens de la périphérie, et plus particulièrement de La Pallice, et ceux du centre ville. A croire que ces derniers ont les naseaux plus sensibles et la santé plus fragile tant on relègue aux frontières de La Rochelle toute l’activité économique, au risque de voir le centre ville se transformer en un musée. Cette perspective ne peut qu’être le résultat d’une volonté politique délibérée lorsque l’on constate que des Zone Franche Urbaines, qui sont inscrites dans la loi depuis 1996, mais dont « aucune évaluation n’est venue mesurer le rapport efficacité-coût3 », continuent néanmoins à être réclamée par les municipalités comme ce fut le cas pour La Rochelle en 2004, et ce notamment dans le secteur de La Pallice. C’est bien une majorité socialiste et écologiste qui a voulue ces ZFU. Pourtant ces dernières se révèlent être des aubaines fiscales pour médecins, avocats ou architectes qui ont juste besoin de changer de quartier pour se soustraire à la taxe sur le foncier bâti, et ne plus être imposables tant que leurs revenus ne franchissent pas le seuil des 100 000 euros. La municipalité crée ainsi les conditions d’une concurrence fiscale déloyale entre les quartiers de la même ville !

Mais revenons à ce centre de broyage qui est donc sensé s’inscrire dans le « rôle essentiel au niveau socioéconomique » du Port si l’on en croit les responsables de ce dernier, ainsi que les élus de la majorité locale puisque l’avis favorable4  du Conseil municipal a réuni 41 voix sur 47. Cependant, lorsque l’on étudie un tant soit peu le secteur d’activités, on peut légitimement se demander s’il n’y a pas tromperie sur la marchandise. Car si l’étude d’impact nous promet des embauches correspondant à « une vingtaine de personnes », elle ne fait pas mention des conséquences de ce nouveau type de concurrence sur les cimenteries traditionnelles de la région.

Il faut savoir qu’actuellement, quatre acteurs se répartissent en France le marché du ciment : le groupe Lafarge, Ciments Calcia (filiale de Ciments Français, elle-même filiale de l’italien Italcementi), le géant suisse Holcim et le français Vicat5. Dans notre région et les sites encore en activité, Calcia est présente à Airvault dans les Deux-Sèvres ainsi qu’à Bussac-Forêt  en Charente-Maritime, et Lafarge à La Couronne en Charente6. Le site d’Airvault  emploie environ 145 personnes et produit 7 types de ciment acheminés pour 66 % en Pays de Loire, 24 % en Poitou-Charentes et 10 % en Bretagne. Celui de Bussac-Forêt emploie environ 117 personnes et produit 5 types de ciment acheminés pour 80 % en Aquitaine et 20 % en Poitou-Charentes7. Enfin celui de La Couronne emploie environ 156 personnes et produit huit ciments différents distribués sur 25 départements8. Et l’on nous demande de croire qu’avec seulement une vingtaine d’employés, et une production similaire, voir supérieure à celle de ses rivaux, le suisse Holcim viendrait troubler le jeu des géants français dans un esprit de « concurrence libre et non faussée ». Ce serait ignorer que si l’un des rôles de la cimenterie est de produire le clinker, un des constituant du ciment, le centre de broyage se contente de l’importer, d’ici ou d’ailleurs… 
Nous avons donc d’un côté les directions des ports qui accueillent à bras ouverts ces activités qui augmentent leur trafic, et d’un autre côté les cimenteries françaises, dont chaque unité emploie plus d’une centaine de personnes, qui se voient concurrencés par des centres de broyage qui n’en emploient qu’une vingtaine, et dont la matière première peut être importée de Turquie, d’Egypte, d’Arabie saoudite, d’Iran et d’Inde, voire de Chine et d’Indonésie. Il faut savoir qu’une cimenterie nécessite un investissement dix fois plus élevé (environ 300 millions d’euros) qu’un centre de broyage, que l’écart de prix entre la tonne de clinker importée et celle produite en France se réduit d’année en année, et que le coût compétitif des produits importés s’obtient au prix de l’exploitation de travailleurs étrangers ainsi que de leur environnement, l’un comme l’autre de bénéficiant pas de nos réglementations nationales. Cette attirance vers la rentabilité et la facilité se confirme par les chiffres qui montrent qu’entre 1999 et 2008, les importations de ciment ont doublé et celles de clinker ont même été multipliées par six !

Ne nous leurrons pas : si les majors du secteur et les acteurs indépendants multiplient les projets de centres de broyage en France au dépend des cimenteries, c’est que ces installations sont moins coûteuse et permette de s’épargner une bonne partie de la charge d’une réglementation sociale et environnementale de plus en plus contraignante sur notre territoire. Donc au maire socialiste de La Rochelle Maxime BONO qui déclare : « Je ne vois plus aujourd’hui de raisons de nous opposer à ce projet », je pense avoir apporté quelques éléments qui, mis en perspective sur le plan régional, permettent d’affirmer que ce projet sera destructeur d’emploi, et sur le plan international, qu’il contribuera à exploiter la main d’œuvre et le milieu naturel du Sud au profit du Nord.